Vision actualisée des Jeunes Vert·e·s sur la politique européenne de défense


Ces trois dernières années ont redéfini notre façon de penser la sécurité et la défense en Europe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a placé le sujet au premier plan de notre paysage politique. En ces temps, nous sommes confronté·e·s à des réponses simplistes à ces défis venues de la droite. C’est pourquoi une perspective verte, portant un cadre de sécurité juste et centré sur l’humain, ancré dans la paix et la diplomatie, est plus nécessaire que jamais.

Faire face aux menaces sécuritaires avec solidarité, et non par la militarisation

L’Europe est confrontée à des défis sécuritaires venant de la Russie, ainsi qu’à l’instabilité internationale et à l’hostilité croissante des États-Unis depuis le second mandat de Donald Trump. Pour la première fois depuis des décennies, l’Europe est contrainte d’assumer davantage de responsabilités pour sa défense.

Cependant, cela ne doit pas conduire à une course aux armements irréfléchie. Nous considérons le plan « Réarmer l’Europe » comme une initiative belliciste et irresponsable. L’Union européenne a été fondée avec l’objectif fondamental de préserver la paix. L’histoire a maintes fois démontré que la paix ne s’obtient pas par l’accumulation d’armes. Nous devons nous concentrer sur l’autonomie stratégique grâce à des investissements coordonnés, des achats communs et l’interopérabilité entre les armées européennes – mais avec des limites claires et une obligation de rendre des comptes.

Les investissements doivent être intelligents, visant à se protéger contre les méthodes de guerre modernes telles que les cyberattaques contre les hôpitaux, les systèmes d’eau, les réseaux énergétiques ou les infrastructures de communication, qui peuvent paralyser les sociétés, causer la mort de civils et déstabiliser des régions entières — sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré — et contre les ingérences électorales qui divisent nos sociétés. Ces attaques estompent les frontières entre la paix et la guerre. Nous devons nous concentrer sur les nouvelles technologies, et non sur des technologies dépassées comme les mines terrestres. Investir dès maintenant dans la sécurité européenne réduira les coûts à long terme en construisant une défense unifiée pour protéger l’UE, nos citoyen·ne·s, nos valeurs et notre démocratie. Nous devons reconnaître la situation dans laquelle se trouve la population en temps de conflit et de guerre. Face à l’augmentation des campagnes de désinformation, des opérations de sabotage et de la guerre hybride, nous devons nous engager à garantir que les infrastructures civiles et les civil·e·s ne soient jamais des cibles. Pour cette raison, le respect du droit international doit être une priorité pour les gouvernements démocratiques, surtout en ces temps où il est constamment attaqué.

Solidarité avec les mouvements pour le désarmement, la décolonisation, la démilitarisation et la justice climatique

L’héritage de la gouvernance militaire, des institutions patriarcales et des structures autoritaires continue de modeler la façon dont la sécurité et la paix sont définies et pour qui elles le sont. En Europe de l’Est, les communautés Roms sont surmilitarisées et systématiquement exclues des processus politiques. Les personnes LGBTQIA+ sont confrontées au harcèlement au sein des structures militaires et des services de police. Les migrant·e·s et les réfugié·e·s sont traité·e·s comme des menaces à gérer, plutôt que comme des personnes dont la sécurité devrait être défendue. La démilitarisation commence par le démantèlement des structures de pouvoir patriarcales et coloniales dans les systèmes de sécurité. Nous avons besoin de politiques qui placent au centre les voix et les besoins des peuples autochtones, des personnes racisées, des communautés LGBTQIA+ et de toutes celles et ceux qui luttent en première ligne.

La justice dans la défense signifie combattre les inégalités quotidiennes qui y persistent. Les femmes dans l’armée sont toujours confrontées à un équipement inadapté et à un manque de prise en compte de l’hygiène menstruelle — ce qui renforce l’idée qu’elles sont des intruses dans des systèmes construits pour les hommes. Il ne s’agit pas de questions secondaires ; ce sont des préoccupations de première ligne. Les forces armées doivent être bâties sur l’équité et la dignité — et rester sous strict contrôle démocratique.

Donner la priorité à la sécurité environnementale et à la justice climatique

La perspective climatique ne doit pas être oubliée dans les discussions sur la sécurité. Les récentes catastrophes naturelles, comme les inondations à Valence et Porto Alegre, sont de sévères rappels que sans action climatique sérieuse, aucune communauté n’est véritablement en sécurité. Nous condamnons fermement la réduction de l’ambition climatique de la nouvelle Commission européenne et encourageons nos gouvernements à intensifier les mesures pour atteindre les objectifs de réduction des émissions dans les temps. De plus, les efforts pour accroître nos capacités de sécurité doivent aller de pair avec la sécurisation des ressources naturelles critiques, comme l’eau, pour tout le monde, la préparation à répondre à toute urgence et la protection de la société civile. L’empreinte carbone des armées et de l’industrie de la défense est également un problème qui doit être abordé.

Mettre fin globalement aux politiques d’austérité

La même logique politique qui mène à des armées sous-financées conduit à des infrastructures délabrées et à une adaptation climatique inadéquate. C’est un problème systémique — enraciné dans des décennies de politiques néolibérales qui privilégient l’austérité, la privatisation et le profit au détriment des personnes et de la planète. Nous rejetons la fausse dichotomie qui veut que les gouvernements doivent choisir entre investir dans la défense ou dans les services publics et l’adaptation climatique. Une véritable sécurité exige les deux, elle ne peut pas être construite sur le dos de systèmes sociaux affaiblis. Nous devons élargir le cadre de ce que nous appelons la sécurité nationale. Elle devrait être redéfinie non seulement comme la défense contre une menace extérieure, mais comme la capacité d’une société à prendre soin d’elle-même. Cela inclut des systèmes de santé accessibles, une éducation qui dotent les personnes non seulement de compétences professionnelles mais aussi d’une capacité d’action civique, des infrastructures résilientes au climat, ainsi que des conditions de travail équitables et sûres dans tous les secteurs. Une société ne peut pas être en sécurité si elle n’est pas prise en charge.

Le droit international humanitaire pour la protection de toutes les personnes

Les traités et conventions internationaux humanitaires ne doivent pas être considérés de manière isolée mais comme un cadre pour la paix et la sécurité. En éliminer un crée un précédent dangereux qui pourrait saper l’ensemble. Nous condamnons fermement toute tentative de retrait de ces accords, comme la Convention d’Ottawa. Il doit y avoir une approche européenne commune renouvelée en matière de sécurité qui renforce les traités internationaux humanitaires, en particulier la Convention d’Ottawa interdisant les mines antipersonnel, et qui étende ces dispositions juridiques. Ces traités ne sont pas de simples technicalités. Ce sont des pierres angulaires de la dignité humaine et doivent être traités comme tels. Nous appelons l’UE à mener une reconfirmation mondiale de l’engagement en faveur du désarmement humanitaire et à résister à toute tentative de normalisation des armes inhumaines et indiscriminées — celles-ci incluent les mines antipersonnel, les armes à sous-munitions, les armes chimiques et biologiques, les systèmes létaux autonomes et les armes nucléaires.

La FYEG (Fédération des Jeunes Verts Européens) soutient la création d’un cadre européen commun de solidarité en temps de crise, qui inclut des investissements dans les infrastructures critiques, des mécanismes de protection civile et une coordination militaire renforcée au niveau de l’UE. Ce système ne doit pas seulement servir à dissuader l’agression russe, mais aussi créer les conditions d’une résilience régionale à long terme — y compris en intégrant les alliés démocratiques de l’UE.

De plus, nous devons renforcer notre capacité de protection civile. Cela inclut la construction d’abris publics, en particulier dans les écoles, les hôpitaux et les quartiers résidentiels, le développement de systèmes d’alerte précoce et d’alerte pour garantir la sécurité des civils en cas d’attaque, l’investissement dans l’éducation à la défense civile et l’adaptation des infrastructures critiques à des fins à double usage en temps de conflit. En outre, des fonds devraient être alloués à la protection de la population contre les catastrophes climatiques.

La solidarité passe par le dialogue

La solidarité ne peut pas être sélective. Elle doit commencer par l’écoute mais aussi par l’honnêteté. Si l’UE et les pays européens prétendent construire une politique de sécurité éthique et axée sur la paix, ils doivent confronter leur propre complicité dans la violence mondiale. Ces acteurs ne peuvent pas critiquer le militarisme américain tout en restant silencieux sur le rôle qu’ils jouent eux-mêmes, d’autant plus que certains figurent parmi les plus grands exportateurs d’armes au monde et fournissent des armes (y compris à double usage) à des régimes autoritaires et à des gouvernements qui violent activement les droits humains, comme Israël. Ce n’est pas de la solidarité. C’est de l’hypocrisie. La solidarité signifie reconnaître que les préoccupations en matière de sécurité varient à travers l’Europe, et que les États d’Europe centrale et orientale, en particulier l’Ukraine, doivent voir leurs perspectives incluses dans l’élaboration de la politique de défense collective. Cela inclut de reconnaître qu’un soutien militaire immédiat peut être nécessaire et n’est pas contradictoire avec l’objectif à long terme d’un monde démilitarisé et pacifique.

Dans le même temps, l’engagement décroissant des États-Unis envers l’OTAN et l’hostilité grandissante de l’administration Trump envers l’UE introduisent une incertitude stratégique sérieuse. L’Europe doit prendre la responsabilité de sa propre défense, en adoptant une position autonome vis-à-vis des États-Unis. Cela devrait être fait sans perturber les partenariats stratégiques historiques, mais en explorant néanmoins des options potentiellement au-delà de l’OTAN.

Pour éviter l’enracinement de complexes militaro-industriels guidés par le profit en Europe, les gouvernements doivent activement contester l’état d’esprit néolibéral qui privilégie la quête sans fin du profit au détriment de l’intérêt public. Cela implique d’affirmer un contrôle démocratique plus fort sur le secteur de la défense, incluant une surveillance publique et des politiques qui privilégient les besoins de sécurité réels plutôt que le profit privé. Cette industrie doit être sous propriété publique. Cette industrie n’est pas une solution à long terme à la désindustrialisation de l’UE. De plus, la protection des droits des travailleur·euse·s est cruciale.

Conclusion

Pour construire une véritable sécurité en Europe et au-delà, nous devons nous éloigner des réponses militarisées et instead prendre des mesures concrètes vers la justice, le soin (care) et la coopération. Cela signifie renforcer le droit international humanitaire. Nous devrions investir dans les infrastructures sociales comme la santé, l’éducation et le logement, et inclure les voix marginalisées à tous les niveaux de la prise de décision en matière de sécurité. Cela signifie mettre fin au commerce des armes avec les régimes qui violent les droits humains, comme Israël, combler les lacunes juridiques qui permettent la prolifération d’armes inhumaines, et réaffecter les fonds publics de l’expansion militaire vers l’adaptation climatique et la sécurité publique. Cependant, cela signifie aussi partager équitablement le fardeau financier de la défense. L’UE doit apporter un soutien financier et logistique aux États en première ligne les plus exposés à l’agression.

Enfin, l’Europe a la responsabilité de défendre la vie sous toutes ses formes. Il ne s’agit pas seulement de frontières et d’armes, mais de construire des sociétés justes et bienveillantes où personne n’est laissé pour compte. Il s’agit de protéger, de préserver les écosystèmes et de garantir la justice pour toutes les communautés. Personne n’est en sécurité tant que nous ne le sommes pas tous et toutes.

Appels de la FYEG à :

  • Créer une force de défense européenne commune non pas en augmentant les dépenses militaires globales des 27 États membres, mais par l’harmonisation des budgets nationaux de défense existants.
  • Garantir l’indépendance militaire européenne vis-à-vis du partenariat de plus en plus hostile avec les États-Unis.
  • Respecter les engagements climatiques et mettre en œuvre la Décroissance (Degrowth) comme une nécessité pour protéger toutes les communautés européennes des catastrophes naturelles et de la pénurie de ressources.
  • Introduire des stratégies de défense basées sur la nature dans le cadre d’un agenda plus large de sécurité environnementale.
  • Réaffirmer notre soutien humanitaire et militaire à l’Ukraine face à l’agression russe. Et soutenir le déploiement d’une paix juste en Ukraine.
  • Réaffirmer notre pleine solidarité avec les pays les plus exposés à l’agression russe.
  • Réaffirmer notre soutien à tous les peuples opprimés sur Terre, tels que les Palestinien·ne·s, mais aussi à d’autres conflits oubliés comme au Sahara et au Kurdistan, en mettant fin à notre complicité avec les régimes oppressifs et en étant des défenseur·euse·s fermes de la paix et des droits humains, pas seulement à l’intérieur de nos frontières mais aussi à l’étranger.
  • Réaffirmer le droit à la vie privée numérique de tous les citoyens contre la surveillance et le suivi par les gouvernements.
  • Nous proposons qu’au lieu de simplement augmenter les capacités militaires européennes, il est nécessaire de se concentrer sur notre autonomie stratégique. Les points principaux à aborder sont : atteindre l’autosuffisance énergétique en éliminant la dépendance aux combustibles fossiles, surtout ceux importés de puissances impériales et autoritaires (comme la Russie et les États-Unis) par le déploiement des énergies renouvelables ; avoir la capacité de fournir les terres rares critiques essentielles au développement technologique européen et à la transition énergétique ; et établir une forte industrie technologique européenne pour empêcher que nos données ne soient stockées en dehors du territoire européen et que nos réseaux de communication ne soient vulnérables aux attaques.
  • Rester fidèles à nos valeurs que sont la résolution pacifique des conflits, la promotion de politiques centrées sur la paix et l’humain, la résolution diplomatique des conflits et le respect du droit international pour surmonter le colonialisme et établir des relations égales entre tous les peuples sur Terre.
  • Élargir le Cadre européen de solidarité en temps de crise avec une solidarité financière et humanitaire.
  • Augmenter le financement de la défense civile, y compris les abris publics, la formation aux situations d’urgence et les systèmes de communication de crise.
  • Développer un réseau satellitaire européen public (à des fins de sécurité et climatiques) et accroître les capacités de renseignement européennes en mettant en place des mécanismes de coopération et de partage d’informations renforcés pour garantir la souveraineté des données.
  • Coordonner les investissements de défense pour garantir l’efficacité et l’interopérabilité et une protection totale du flanc oriental tout en veillant à ce que des routes migratoires sûres soient établies et sauvegardées, que les migrant·e·s ne soient pas affecté·e·s négativement par la présence militaire accrue et ne soient pas instrumentalisé·e·s par des régimes autoritaires.
  • Les dépenses devraient être réaffectées des armements offensifs vers des équipements défensifs, tels que la défense anti-drone et anti-missile ainsi que les systèmes de détection précoce.

Le paysage géopolitique actuel exige une action urgente et concrète. Par conséquent :

  • À court terme, les pays européens devraient entamer un processus d’harmonisation de leurs systèmes de défense et s’attaquer aux inefficacités des dépenses et des capacités militaires, à faciliter dans le cadre de la structure de gouvernance actuelle de l’OTAN.
  • À moyen terme, les États membres de l’UE doivent développer et mettre en œuvre une politique de solidarité claire dans le contexte de la clause d’assistance mutuelle de l’article 42(7) du TUE.
  • À long terme, les pays européens devraient envisager de s’éloigner progressivement de l’OTAN en restructurant l’infrastructure existante (à la fois physique et organisationnelle) en une Union européenne de la sécurité.