Pourquoi l’écologie est devenue une cible de l’extrême droite américaine

Pendant des décennies, la relation transatlantique a été analysée principalement à travers le prisme des intérêts : sécurité, commerce, stabilité géopolitique. Mais la dernière National Security Strategy (NSS) des États-Unis marque un changement de nature profond.
L’Europe n’y apparaît plus comme un allié aux priorités différentes.
Elle est désormais décrite comme un contre-modèle idéologique : trop régulé, trop écologiste, trop soumis à des normes supranationales. Dans ce nouveau cadre, l’écologie n’est plus débattue comme une politique publique : elle est attaquée comme une menace identitaire.
Cet article propose donc de lire la NSS non comme un document technique, mais comme un élément d’une offensive idéologique et culturelle plus large, portée par l’extrême droite américaine, dans laquelle l’Europe devient un champ de bataille — et l’écologie, l’une des cibles centrales.
Du désaccord stratégique au conflit idéologique
Les stratégies américaines du passé, même dans les périodes de forte tension, visaient avant tout à organiser l’ordre international en fonction d’alliances et d’intérêts. La NSS actuelle rompt avec cette logique. Elle ne se contente plus de désigner des rivaux : elle affirme une vision du monde, dans laquelle la culture, les valeurs et l’identité deviennent des enjeux de sécurité.
Dans cette vision, l’Europe n’est pas simplement jugée prudente ou lente. Elle est décrite comme :
- prisonnière d’idéologies,
- étouffée par la régulation,
- privée de véritable souveraineté.
Ce discours n’est pas accidentel. Il reprend presque mot pour mot la rhétorique développée depuis des années par l’extrême droite américaine, qui présente l’Union européenne comme un exemple à ne pas suivre : celui d’une société ayant choisi des limites, des règles et des solidarités collectives.
L’écologie comme symbole à abattre
Dans ce cadre idéologique, l’écologie devient une cible idéale.
Non parce qu’elle échouerait, mais parce qu’elle incarne tout ce que le projet national-conservateur refuse :
- la reconnaissance de limites planétaires,
- la responsabilité envers les générations futures,
- la régulation des marchés,
- la primauté de la décision démocratique sur les intérêts privés.
L’attaque contre le Net Zero n’est pas un débat technique sur les modèles climatiques ou les coûts économiques. C’est un geste culturel : le refus d’admettre que la puissance puisse être volontairement encadrée. L’énergie fossile est défendue comme symbole de force, de domination et d’indépendance, tandis que l’écologie est caricaturée comme affaiblissante, moralisatrice ou idéologique.
La politique climatique est ainsi transformée en conflit identitaire.
Une guerre culturelle transatlantique
La NSS évoque explicitement le soutien à des formes de « résistance » contre les normes supranationales et les cadres réglementaires. Cela signifie que l’Europe devient une cible assumée d’influence idéologique.
Cette influence est déjà visible :
- dans le soutien à des partis d’extrême droite européens,
- dans les attaques contre les politiques vertes et les juridictions,
- dans la délégitimation de la science, du journalisme et de la société civile,
- dans l’importation des codes de la « guerre culturelle » via les plateformes numériques.
La NSS confère à cette dynamique une légitimité stratégique officielle. Elle exporte vers l’Europe un conflit idéologique d’abord américain.
L’erreur européenne : croire à la neutralité
Face à cela, les responsables européens répondent souvent par un langage technocratique, comme s’il s’agissait d’un malentendu ou d’un problème de communication. C’est une erreur d’analyse.
Il ne s’agit pas de solutions différentes à un même problème.
Il s’agit de visions du monde incompatibles.
L’extrême droite américaine ne cherche pas à réformer le modèle européen. Elle cherche à le disqualifier comme référence normative, parce qu’il démontre qu’une autre modernité est possible : plus régulée, plus protectrice, moins soumise à l’arbitraire du pouvoir économique.
Dans cette perspective, l’écologie n’est pas un thème marginal : elle est un obstacle central.
L’écologie comme souveraineté
Le défi pour l’Europe — et en particulier pour les écologistes — est désormais clair.
Il n’est plus possible de défendre l’écologie comme une simple politique sectorielle ou un ajustement technique. Dans le contexte actuel, elle est devenue un marqueur de souveraineté, de démocratie et de choix civilisationnel.
Accepter l’idée que l’écologie serait une idéologie de luxe ou un handicap économique, c’est déjà adopter le cadrage adverse. Se taire face à l’offensive idéologique, c’est contribuer à sa normalisation.
Défendre l’écologie aujourd’hui, c’est :
- défendre la capacité de l’Europe à définir ses propres normes,
- défendre la solidarité entre générations et territoires,
- refuser la logique de la puissance sans limites et de l’exploitation sans frein.
C’est une responsabilité que les écologistes ne peuvent déléguer.
C’est une tâche politique — et un devoir historique.